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Rondeur des Jours
« Il peut y avoir toute une forêt dans un aboiement de renard. Je chante le balancement des arbres ; le grondement des sapins, dans les couloirs de la montagne ; les vastes plaines couvertes de forêts et qui, en haut de la colline, ressemblent à la mer, mais qui s’ouvrent quand on descend avec leurs étranges chemins d’or vert, leur silence, la fuite des belettes, l’enlacement des lierres autour des chênes, l’amour qui lance les oiseaux à travers les feuilles comme des palets multicolores ; les plages de sable où les chevaux sauvages galopent dans un éclaboussement de poussière et d’eau, la pluie qui pousse sur les pays, l’ombre des nuages, les migrations d’oiseaux, les canards qui s’abattent sur les marais, les hirondelles qui tournent au-dessus du village, puis tombent comme de la grêle, et les voilà dans les écuries à voler sous le ventre des chevaux ; les flottes de poissons qui descendent les rivières et les fleuves, la respiration de la mer, la nuit tout ensemencée d’étoiles et qui veut cent milliards de siècles pour germer.
Je chante le rythme mouvant et le désordre. »
Jean Giono : Rondeur des Jours ; 1943
Photographie : www.jessicabuczek.com
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Les vraies richesses
« Vous m’aviez paru être trop confiants dans votre science. Vous n’aviez pas l’air de savoir que les temps modernes n’ont pas seulement résolu le problème de la désintégration de l’atome, mais qu’ils ont effectué la désintégration des esprits, libérant sans raison des forces spirituelles qui nous étaient nécessaires pour vivre une vie humaine. Les spéculations purement intellectuelles dépouillent l’univers de son manteau sacré. Le monde portait les hommes quand il était revêtu de son inextricable forêt. Alors, générateurs de sources et d’ombres, ses halliers encombraient les chemins ; la paix et la joie marchaient à notre pas ; l’esprit a fait du monde ce désert nu, couvert de dunes de sable penchées de même pente l’une sur l’autre, jusque par-delà les quatre horizons. Avant de vous donner ma vraie réponse, je voulais vous faire comprendre que les hommes ne peuvent pas se passer d’habitations magiques. »
Jean Giono : Les vraies richesses ; 1937
Photographie : www.jessicabuczek.com
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Cette vaine machine.
« Tout roule ici dans une loi implacable de machine. Et les trains incessants alimentent les foyers. La vie brûle tout le temps dans le corps des habitants de la ville, non plus pour la joie de la flamme mais pour l’utilisation de la flamme. La vie de chacun doit produire, la vie de chacun n’a plus son propriétaire régulier, mais appartient à quelqu’un d’autre, qui appartient à la ville. Une chaîne sans fin d’esclavage où ce qui se produit se détruit sans créer ni joie ni liberté. Alors, à quoi bon ? Mais je suis seul à parler dans la rue et personne ne m’entend. Personne ne peut m’entendre car les hommes et les femmes qui habitent cette ville sont devenus le corps même de cette ville et ils n’ont plus de corps animal et divin. Ils sont devenus les boulons, les rivets, les tôles, les bielles, les rouages, les coussinets, les volants, les courroies, les freins, les axes, les pistons, les cylindres de cette vaine machine qui tourne à vide sous Sirius, Aldébaran, Bételgueuse et Cassiopée. »
Jean Giono : Les vraies richesses, 1937
Photographie : Jessica Buczek – www.jessicabuczek.com -
Un monde véritable.
« Nos pieds veulent marcher dans l’herbe fraiche. Nos jambes veulent courir après les cerfs et serrer le ventre des chevaux ; battre l’eau derrière nous pendant que nous écarterons le courant avec nos bras.
JEAN GIONO
Par tout notre corps nous avons faim d’un monde véritable. »
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Rondeur des Jours