ESSAI
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Les Vraies Richesses
« Le plus important dans la vie ne serait-il pas de vivre sa vie selon le sens le plus élevé qu’on a de la vérité, de ce qui est bon et juste ?
[…]
Car en fin de compte le choix est de vivre la vie qui vous donne le plus de satisfaction profonde, le plus de joie, ou de subir les diktats d’une société qui ne sait plus du tout où elle va, mais y va de plus en plus rapidement.
Nous vivons dans un monde où le roi _ la consommation érigée en finalité _ est désespérément nu. Si vous prenez le risque (modeste) de le crier, vous serez peut-être étonné du nombre de personnes qui se mettent à crier avec vous !
Certes, vivre autrement, vivre plus simplement peut représenter, selon le milieu social auquel vous appartenez, un certain risque. Mais ne rien risquer, nous l’avons vu, peut constituer un risque infiniment plus grand, celui de ne jamais être soi-même, de rester prisonnier de normes auxquelles nous n’adhérons qu’à moitié _ et encore. Alors ne vaut-il pas la peine de prendre consciemment le risque auquel on croît, plutôt qu’accepter d’étouffer à petit feu parce que nous avons mis notre conscience sur pilote automatiques ? »
Pierre Pradervand : Découvrir les vraies richesses
Photo : www.jessicabuczek.com
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Cette vaine machine.
« Tout roule ici dans une loi implacable de machine. Et les trains incessants alimentent les foyers. La vie brûle tout le temps dans le corps des habitants de la ville, non plus pour la joie de la flamme mais pour l’utilisation de la flamme. La vie de chacun doit produire, la vie de chacun n’a plus son propriétaire régulier, mais appartient à quelqu’un d’autre, qui appartient à la ville. Une chaîne sans fin d’esclavage où ce qui se produit se détruit sans créer ni joie ni liberté. Alors, à quoi bon ? Mais je suis seul à parler dans la rue et personne ne m’entend. Personne ne peut m’entendre car les hommes et les femmes qui habitent cette ville sont devenus le corps même de cette ville et ils n’ont plus de corps animal et divin. Ils sont devenus les boulons, les rivets, les tôles, les bielles, les rouages, les coussinets, les volants, les courroies, les freins, les axes, les pistons, les cylindres de cette vaine machine qui tourne à vide sous Sirius, Aldébaran, Bételgueuse et Cassiopée. »
Jean Giono : Les vraies richesses, 1937
Photographie : Jessica Buczek – www.jessicabuczek.com -
La part sauvage du monde.
Bison bonasus – Bison d’Europe dans la forêt de Białowieża, en Pologne. « Notre pari, c’est que pour reconnaître et respecter la part sauvage du monde, y compris dans ses manifestations les plus quotidiennes, il faut l’envisager d’emblée dans sa plus grande altérité. Il faut imaginer les échos du cerf qui brame dans le soir tombant sur les bois de la forêt de Bialowieza, les nuées de grues cendrées remontant vers le nord, le vol d’un aigle royal au-dessus du massif des Écrins. Il faut avoir vu cela, ne serait-ce qu’en pensée, ne serait-ce qu’en rêve, pour ne pas se laisser convaincre par ceux qui assurent que la nature est morte et que le mieux qu’il nous reste à faire, pour nous et pour la planète, serait de jardiner intelligemment un monde devenu totalement nôtre. »
Virginie Maris : La Part sauvage du monde ; Seuil, 2018
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Cet indicible ailleurs…
« Lorsque nous nous immergeons dans un lieu qui nous submerge dans ce sentiment indéfini d’ailleurs, un trouble nous envahit au point que survient cette question : de quel côté de notre vie réside le rêve et de quel côté le réel trouve-t-il vraiment existence ?
Libre à nous de penser que le réel s’impose d’abord dans toutes nos obligations journalières auxquelles notre société nous soumet artificiellement et que notre plongée dans l’état primaire d’une nature est un rêve que nous ne parviendrons pas à maintenir dès le retour dans notre quotidien professionnel, urbain, et familial ; ou bien, libre à nous de penser que la civilisation dont nous nous sommes si temporairement extirpés, n’est qu’un rêve collectif fermé sur lui-même, en dérive autiste à l’égard du monde, et que oui ! Le Réel est bien dans cette poétique de l’insaisissable que nous respirons à la première effluve sauvage d’un paysage étranger à l’humain.
Libre à nous !
Malheureusement avec cette liberté nous n’avons eu de cesse de surévaluer le réel de nos préoccupations quotidiennes, et par voie de conséquence, de dévaluer ce qui peut nous relier à un réel bien plus fondamental ; un réel notamment perceptible dans cet indicible ailleurs qui survit en quelques dernières contrées sauvages, qui sanctuarisent encore en elles toute l’essence première du monde ; une essence depuis si longtemps dérobée de nos vies ! »
Bernard Boisson : Nature primordiale ; Apogée, 2008